REFORME ET DEVELLOPEMENT DU SECTEUR CINEMATOGRAPHIQUE EN TUNISIE : LA CULTURE DU CINEMA
II
LA CULTURE DU CINEMA
A - INTRODUCTION
Depuis les grottes de Lascaux, l’être humain éprouve le besoin de se représenter le plus fidèlement possible. La peinture, le théâtre, la photographie puis le cinéma ont jalonné l’évolution de ce besoin profondément humain. En ce sens, le cinéma a été considéré comme un aboutissement car il pouvait potentiellement être le plus fidèle dans cette représentation.
Un corolaire à ce besoin est celui de voir l’autre se représenter ou de se donner à voir à l’autre. Le cinéma étant la cristallisation d’une double quête : celle de l’identité et celle de l’altérité.
Le partage du et autour du cinéma est donc un aspect fondamental de toute volonté de création d’une cinématographie : rien de mieux que voir les films, en discuter et les penser pour développer la passion du cinéma et aiguiser le rapport que l’on entretient avec lui.
Pendant les années 60 et 70, nous avons largement eu en Tunisie cette culture collective du cinéma, presque comme partie intégrante de notre identité tunisienne, il n’y a qu’à voir la fréquentation massive, familiale et de toutes les couches sociales des salles de cinéma, le succès important des projections ambulantes, le nombre important des ciné-clubs et leur fréquentation tout aussi massive, le rôle majeur régional joué par les Journées Cinématographiques de Carthage, etc. A partir des années 80, tout ceci a commencé à péricliter pour n’être aujourd’hui que nostalgie et regrets. Le cinéma n’est plus considéré que comme divertissement individuel. La culture du cinéma n’existe plus que partiellement et chez une minorité extrêmement ténue de la population. Il s’agira donc dans la perspective d’une réforme et d’un développement globale de l’art et de l’industrie cinématographiques de défricher le terrain de la cinéphilie avant d’y planter l’arbre du cinéma.
B - PROPOSITIONS
1 – Créer une Cinémathèque Tunisienne
Une cinémathèque est la mémoire visuelle mondiale. Elle est nécessaire à tous les peuples, à tous les pays. On ne peut imaginer des bases solides à un projet crédible et à long terme de développement du cinéma sans au préalable créer une Cinémathèque Tunisienne d’envergure.
La création d’une Cinémathèque Tunisienne a pour objectifs :
-d'acquérir, à titre onéreux ou gratuit des films nationaux et internationaux, de les conserver dans les conditions les plus optimales qui soient, de veiller, le cas échéant, à la restauration et au traitement des copies de films détenus par elle.
-d'assurer quotidiennement et continuellement plusieurs projections publiques de films dans sa/ses propre/s salle/s.
-de réunir tout document écrit, visuel ou sonore, ouvrages, revues, affiches ou tout document ou objet ayant un rapport avec le cinéma, en vue de la constitution d'une bibliothèque, d'une sonothèque, d’une médiathèque, d'un musée du cinéma, d’un site Internet, etc.
-d'organiser des expositions, conférences ou autres manifestations ayant trait à l'histoire, l'art et la technique du cinéma.
-d’organiser des activités pédagogiques à destination du jeune public : ateliers d’initiations, projections spéciales, activités diverses, etc.
-d'entretenir des relations de coopération et de partenariat avec les organismes et associations nationales ainsi qu'avec les cinémathèques étrangères et tout autre organisme similaire.
La Cinémathèque Tunisienne peut trouver amplement sa place dans la future Cité de la Culture.
Dans un deuxième temps après sa création, la Cinémathèque Tunisienne aura aussi pour charge de chapeauter la création de Salles Régionales de la Cinémathèque Nationale qui auront les mêmes missions en régions et qui lui permettront de rentabiliser ses investissements en achats de copies en les faisant ainsi tourner sur tout le pays.
2 – Réformer les festivals de cinéma existants et encourager le lancement de nouveaux
Les Journées Cinématographiques de Carthage étaient une manifestation régionale majeure et un évènement national de prime importance. Elles ont périclité principalement à cause de leur organisation et leur fonctionnement devenu anachronique et chaotique avec le temps. Le plus ancien festival du monde arabo-africain et le plus important en Tunisie doit absolument retrouver le rôle précurseur, moteur et fondamental dans le paysage cinématographique mondial qui a été le sien.
Ceci ne pourra s’accomplir que si :
- Il devient annuel.
- Il a un Comité de Direction élu et un Comité d’Organisation permanent durant la durée de son mandat.
- Il devient totalement indépendant du Ministère de la Culture.
- Il a le budget adéquat à sa mission.
En outre, il conviendra que le futur Centre Tunisien de la Cinématographie encourage au développement et à la structuration sur le modèle suscité des J.C.C. les autres festivals existants. Aussi, certaines autres idées de festivals semblent être nécessaires à créer : un Festival International du Court-Métrage, un Festival International des Premières Œuvres, un Festival International du Cinéma d’Animation, un Festival International du Cinéma expérimental, etc.
En ce qui concerne la production nationale et dans la perspective d’une hausse considérable de la quantité de films produits tous les ans, une cérémonie (type Oscar, César, Bafta, Goya…) pour récompenser le meilleur de la production et ceux qui y ont contribué peut être envisagée à moyen terme. Les films et les gens qui les font ont besoin d’être estimer à leur juste valeur et cette cérémonie est en partie destinée à cette tâche en plus d’être une considérable occasion promotionnelle vis-à-vis du large public.
3 – Organiser, promouvoir et accompagner la critique cinématographique
Le statut de critique cinématographique n’existe pas et c’est une aberration tant c’est un maillon essentiel dans le paysage cinématographique. Le critique de cinéma devra avoir la place qu’il mérite pour jouer pleinement son rôle. De fait le Ministère de la Culture devra coordonner avec le Ministère de l’Enseignement Supérieur et le Ministère de l’Information pour créer :
Une branche spécialisée en « Journalisme cinématographique » au sein des institutions d’enseignement supérieur de presse et de journalisme.
Une carte de presse de « Critique cinématographique ».
Dans la perspective d’une augmentation du nombre de productions tunisiennes par an, celle de la réactivation de la distribution, de l’exploitation, des ciné-clubs et celle de la création d’une cinémathèque, etc., la création à moyen terme d’une revue spécialisée mensuelle est fortement envisageable et de surcroit essentielle. Cette revue pourrait être en partie subventionnée par le futur Centre Tunisien de la Cinématographie pour assurer sa survie.
De cette manière, l’action de l’Association Tunisienne pour la Promotion de la Critique Cinématographique retrouvera tout son sens. Cette association est un acquit de taille dans la vie culturelle et associative de la Tunisie, elle devra de fait être subventionnée davantage.
Mais la pensée du cinéma ne s’arrête pas à la critique. Le futur Centre Tunisien de la Cinématographie devra penser à mettre en place un fond pour encourager l’édition de livres sur le cinéma. Quant à la Cinémathèque Tunisienne et dans le cadre de son travail d’assemblage de documents, elle devra recueillir les travaux de recherches académiques dans toutes les disciplines sur le cinéma.
4 – Encourager la redynamisation des ciné-clubs
Subventionner encore davantage la Fédération Tunisienne des Ciné-Clubs tout en garantissant pour elle davantage d’indépendance d’esprit et d’action et tout en encourageant par ailleurs la création de ciné-clubs indépendants, de ciné-clubs en milieux scolaire, universitaire, hospitalier, carcéral, etc.
5 – Créer des Centres Régionaux du Cinéma
Un des symptômes les plus aigus que traverse le cinéma en Tunisie est sa totale absence d’une écrasante majorité du territoire et donc sa totale inaccessibilité à une grande majorité de la population. Sur 24 gouvernorats, plus de 20 n’ont aucune salle de cinéma réellement en activité ; presque 20 gouvernorats n’ont ni salle ni ciné-club ni club de cinéastes amateurs ; sur les 7 longs métrages tunisiens de fiction sortis en salle les deux dernières années, aucun ne se situe en dehors de la capitale et de ses environs et sur la vingtaine de longs métrages sortis ces 5 dernières années, tout au plus 4 se déroulent en dehors de Tunis et ses environs.
Les Centres Régionaux du Cinéma peuvent être conçut tout d’abord comme les relais et les coordinateurs à l’intérieur du pays des principales institutions nationales (Centre Tunisien du Cinéma, Cinémathèque Tunisienne, Fédération Tunisienne des Cinéastes Amateurs, Fédération Tunisienne des Ciné-Clubs, etc.). Ils peuvent être conçus ensuite comme des espaces de vie, de rencontre et de création autour du cinéma : ateliers, stages, résidences, diverses manifestations... peuvent y être organisés.
Structurellement, en plus des bureaux, ces centres peuvent avoir aussi une salle de projection, un centre de documentation, un espace de création (studio, postproduction...) ainsi qu’un espace de rencontre (expositions, conférences...). Institutionnellement, les Centres Régionaux du Cinéma peuvent être chapeauté par le futur Centre Tunisien de la Cinématographie. Financièrement, en plus du Centre Tunisien de la Cinématographie, ils peuvent être aidés par les gouvernorats respectifs dans lesquels ils sont implantés et ils peuvent aussi générer leurs propres revenus (projections, centre de documentation, locaux, matériels, services... peuvent être payants).
6 – Promouvoir le court-métrage, le documentaire, l’animation et l’expérimental
Par ses formes et ses formats, le cinéma est multiple. Qu’il dure quelques secondes ou une vingtaine d’heures : un film est un film. Qu’il soit un film de fiction, un film documentaire, un film d’animation ou un film expérimental : il appartient au cinéma. Une cinématographie nationale ne saurait exister sans l’égalité entre tous les formats de film et toutes les formes de cinéma. Les cinématographies les plus importantes au monde nous le prouvent (les Etats-Unis, la France et le Japon par exemple).
Créer une Agence du Court-Métrage destinée à la promotion, la diffusion et l’initiation à ce format particulier de film.
Créer une Agence du Documentaire, de l’Animation et de l’Expérimental destinée à la promotion, la diffusion et l’initiation à ces formes particulières de cinéma.
Il ne s’agit pas ici de nier le constat de la prédominance du long-métrage de fiction comme la combinaison traditionnelle format-forme la plus répandue. Il s’agit tout simplement de donner à voir toute la palette et les possibilités du cinéma dans leur diversité et leur pluralisme en vue de fédérer le plus de talents et de sensibilités.
7 - Encourager toute forme d’activité institutionnalisée ou non autour du cinéma
De la même manière qu’il faut veiller à la diversité au sein du cinéma car il est pluriel et multiple, il faut de même veiller à la multiplicité des actions autour de lui. Ainsi, il faudrait par des mesures culturelles, économiques, sociales et politiques encourager tout désir de cinéma et soutenir toute action susceptible de le promouvoir, de le diffuser, de le faire aimer...
Que ces activités en question soient organisées et gérées par une association officielle, un groupe informel ou un individu seul, cela importe peu ; que ces activités prennent la forme de projections, stages, ateliers, projets divers, cela importe peu aussi si cela bénéficie au cinéma, car par voie de conséquence cela bénéficiera au pays tout entier. Ne pas hésiter non plus à encourager les associations, collectifs, individualités, ateliers, etc., étrangers à entreprendre des actions en Tunisie. Il est évident que le bénéfice culturel ne pourra se faire que si ces actions soient menées de façon organisée, passionnée et soient de qualité. Il n’est pas question ici de performances chiffrées mais de multiplicité des approches et de diversité d’angles d’attaque. L’idéal pour qu’un nivellement par le haut se produise est que le futur Centre Tunisien de la Cinématographie chapeaute quelques unes de ces actions menées par des parties tierces en leur garantissant un minimum financier et/ou logistique, ces actions de qualités et d’envergure donneront forcément le « la ».
A court terme et avant une nécessaire réactivation de la distribution et de l’exploitation, une réactivation immédiate du cinéma nomade ou ambulant est fortement souhaitée et facilement réalisable tant aujourd’hui la logistique numérique est légère et peu couteuse, tant l’infrastructure dans les maisons de culture est utilisable. De même, les professionnels du cinéma, les critiques, les militants associatifs sont vivement appelés à aller à la rencontre de la population. Dans le même sens, il est impératif que le cinéma s’implante fortement et durablement dans des milieux desquels il est absent : en milieu étudiant, hospitalier ou carcéral, etc.
Lancer l’idée de « Capitale méditerranéenne du cinéma » en faisant à moyen terme de Tunis la première capitale.
C – CONCLUSION
La culture du cinéma est donc la passion, la connaissance et le partage du cinéma. La culture du cinéma existe chez le tunisien et quand elle s’exprimait pleinement en lui, la Tunisie a connu ses heures de gloire cinématographiques à tous les niveaux (cinéphilie, production, exploitation...) et aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. La culture du cinéma n’est donc ni un délire abstrait ni un égocentrisme cinéphilique : en la faisant s’exprimer à nouveau en Tunisie, elle accroitra les liens sociaux, participera à la croissance économique et bonifiera l’image du pays à l’étranger (sur les plans culturels, touristiques, etc.).
La culture du cinéma est par ailleurs l’outil le plus approprié à une politique globale d’éducation à l’image dont l’enseignement du cinéma depuis l’école jusqu’au lycée serait la pierre angulaire.